« L'épingle de Berlin » ou la mémoire juive de l'Espagne
Le livre-enquête de Martine Audusseau Pouchard ravive la mémoire des Juifs en Catalogne et dans toute la péninsule ibérique.
La journaliste (ex-correspondante de RTL en Espagne) part à la recherche de ses racines dans son livre L'épingle de Berlin (1). Une quête personnelle qui résonne avec l'histoire des Juifs en Espagne, et les relations douloureuses de ce peuple persécuté au pays de l'inquisition. Un ouvrage de réconciliation et de compréhension de cette « mémoire mnésique », ou mémoire de l 'inconscient, qui concerne tout autant les individus que les nations. Interview.
Quelle est la genèse de « L'épingle de Berlin » ?
Martine Audusseau Pouchard : « C'est un peu le hasard - ou le destin - qui m'a conduit à m'installer dans le village catalan au nom très évocateur de Matajudaica, dont la racine juive est évidente. J'ai également beaucoup travaillé, comme journaliste, sur l'histoire des Juifs en Espagne, où j'avais toujours éprouvé le besoin de m'installer sans savoir pourquoi. Et puis, encore par hasard, il y a cette visite de ma sœur au musée de la grande synagogue de Berlin, et cette épingle à cravate avec une double étoile de David exposée dans l'une des vitrines : la même que celle de ma grand-mère ! Une épingle qui apparaît comme une pièce à conviction supplémentaire parmi tous les éléments qui me laissent penser aux éventuelles origines juives de ma famille. C'est le réveil d'une mémoire mnésique personnelle, cette vérité tellement cachée au fil des générations qu'elle est difficile à exprimer. Une histoire enfouie que l'on porterait depuis des siècles, de génération en génération ».
Cette mémoire enfouie est aussi celle des Juifs en Espagne ?
Martine Audusseau Pouchard : « En effet. C'est l'histoire de tous ces Juifs qui ont quitté l'Espagne en 1492, menacés de mort par une inquisition brutale, obligés de partir sans délai et sans rien. C'est aussi l'histoire de ceux qui se sont convertis pour pouvoir rester, quitte à continuer à pratiquer et transmettre leur religion en cachette. On estime d'ailleurs que 20 % de la population espagnole aurait des origines juives ».
Comment ces origines cachées apparaissent-elles aujourd'hui ?
Martine Audusseau Pouchard : « On en a de nombreuses manifestations dans les coutumes, comme par exemple l'habitude d'allumer les bougies le vendredi soir. Mais il y a également des traces très concrète de cette présence juive ; en témoignent ces pierres noires d'époque sur certaines façades. Ces pierres étaient placées là au moment de la construction des maisons en signe d'accueil pour des Juifs de passage. J'ai trouvé l'une de ces pierres noires sur la façade de ma propre demeure ! Et il y en a d'autres à Matajudaica, ou ailleurs en Espagne. Il y a également des traditions qui perdurent parfois jusque dans le quotidien, comme cette habitude d'offrir du persil dans les poissonneries. Je rappelle aussi dans mon livre certains gestes directement liés au rejet des Juifs, comme le fait de lancer des têtes de cochons dans les manifestations. Sans oublier certains carnavals où apparaissent les symboles nazis, et où l'holocauste est parfois mis en scène de façon macabre ».
Faut-il en redouter une résurgence de l’antisémitisme ?
Martine Audusseau Pouchard : « L'antisémitisme est toujours présent, hélas. Même si l'Espagne n'est pas le pays le plus exposé à mon avis. Des efforts pour sensibiliser à ce risque ont été faits, avec notamment la réouverture des « Chemins de Sefarad ». Autres exemples encourageants : la réhabilitation du quartier juif de Gérone, mais aussi les déclarations du roi émérite Juan Carlos et de son fils Philippe VI, qui ont permis aux descendants des Juifs chassés en 1492 de retrouver la nationalité espagnole s'ils le souhaitent, à condition de justifier de leur origine séfarade. En 2020, 100 000 demandes de naturalisation avaient été enregistrées, et plus de 30 000 ont été acceptées depuis. Malgré tout, le travail de mémoire est toujours essentiel face au danger bien réel de l'antisémitisme ; c'est aussi pour cela que j'ai écrit ce livre ».
(1) « L'épingle de Berlin », de Martine Audusseau Pouchard, publié aux éditions Sentiers du Livre. L'ouvrage est notamment disponible à la librairie Jaimes de Barcelone