Focus

Français de Barcelone : ombres et lumières

600 ans de présence française à Barcelone.

C'est dans le « livre des épousailles » du XVème siècle que Guillaume Horn est allé chercher les premières traces de la présence française à Barcelone. Cet historien diplômé de l’ENS et de l’Université de Lyon a supervisé la rédaction du livre publié par la Société Générale Française de Bienfaisance de Barcelone (1) : « Les Français de Barcelone - Ombres et lumières - du XVe au XXe siècle ». Un travail orignal et méticuleux réalisé avec des associations et entités françaises présentes dans la capitale catalane, et qui a nécessité l'examen de quelque 5.000 pages d'archives. Dont les registres des mariages, qui mentionnent donc les premières unions matrimoniales entre Français (ou mariages mixtes) en 1450 à Barcelone. À cette époque, beaucoup traversent les Pyrénées vers le sud pour occuper des terres laissées vacantes depuis la grande peste, et profiter de la « sentence de Guadalupe » promulguée par le roi Ferdinand II d’Aragon, autorisant les paysans à vendre leur propre production sans autorisation seigneuriale. Cette première vague d'émigration marque le début d'une forte présence des Français à Barcelone, qui va s'affirmer au fil des siècles. Et notamment au XVIIIe et XIXe siècles, avec l'arrivée de nombreux marchands, venus profiter du développement économique et de la révolution industrielle. C'est l'âge de ce que la diplomatie nomme la « colonie française de Barcelone », car tous les Français qui vivent à l'étranger participent alors à l'expansion de la culture française dans le monde. Une ambition qui coïncide avec la création des établissements spécialement dédiés aux Français, notamment les écoles. C'est ainsi que naît, dès 1851, l'embryon de ce qui deviendra l'école Ferdinand de Lesseps, fondée par le célèbre consul général de France à Barcelone afin d'offrir une éducation gratuite aux enfants d'ouvriers. Ce fut le premier établissement scolaire français de la péninsule ibérique. « Il est étonnant de constater que le terme de « colonie française » restera en vigueur jusqu'en 1992 », note Guillaume Horn. À partir de cette année des jeux olympiques de Barcelone et de l'adhésion au traité de Maastricht, la diplomatie escamote l'expression au profit de « communauté française ».

Bibliothèque du lycée de l'Institut Français en 1941 

 

Ferdinand de Lesseps est évidemment l'une des grandes figures de la présence française à Barcelone. C'est aussi celui qui aura redoré le blason de nos compatriotes, dont la détestation avait donné lieu à une véritable « francophobie » au XVIe siècle, selon le mot de Guillaume Horn : « Il y avait trop de Français et pas assez de travail ; certains d'entre eux sont donc tombés dans la misère, et une partie s'est mise à grossir les rangs des brigands, au point que le néologisme péjoratif de « franchute » est alors synonyme de « voleur » ou « bandit », exprimant la crainte que ces étrangers inspiraient ».

Après la révolution française, l'invasion napoléonienne est également à mettre dans la catégorie sombre d'une histoire faite « d’ombres et de lumières », dans un contexte de crises intestines politiques et militaires qui traverse toute l'Espagne du XIXe siècle. Mais la réputation des Français et leur situation changent radicalement grâce à l'action de Ferdinand de Lesseps, qui mettra tout son pouvoir en œuvre pour sauver de nombreux Barcelonais lors des bombardements de 1842. C'est aussi sous l'impulsion du consul que sera créée la Bienfaisance, première association de Français à Barcelone. Des Français qui vont accompagner le développement urbain et industriel durant les décennies qui suivent, avec par exemple la création de Compagnie des Eaux de Barcelone (2) en 1867, mais aussi la naissance des bières Damm et Moritz, originaires d'Alsace, ou les premières voitures en provenance de l’Hexagone présentées lors de l'exposition universelle de 1838. C'est de cet élan que naît aussi la première chambre de commerce française à Barcelone (la première hors de France!), qui poursuit aujourd'hui sa mission de rapprochement franco-espagnol, 130 ans après sa création. Car au-delà des 600 ans parcourus dans cet ouvrage (agrémenté d'une centaine de photos et documents), l’histoire des Français de Barcelone continue de s'écrire.

 

Premières canalisations de la Société des Eaux de Barcelone

 

Notes:

(1)  « Les Français de Barcelone - Ombres et lumières - du XVe au XXe siècle » est en vente à la Librairie Jaimes de Barcelone (www.jaimes.cat)

(2)  La Compagnie des Eaux de Barcelone nait en 1867 en Belgique avant d'être contrôlée par des capitaux français à partir de 1882 sous le nom de Société Générale des Eaux de Barcelone (Agbar selon les initiales espagnoles), actuellement filiale du groupe Suez