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« Marseille 2064 » : le lieutenant Burggins mène l'enquête

De Pepe Carvalho à Salvo Montalbano, la figure du flic méditerranéen est un classique de la littérature policière. Entre Barcelone et Palerme, Frédéric Dubessy a rajouté Lucien Burggins dans cette galerie de portraits, avec son nouveau livre, « Marseille 2064 » (1). Un polar qui emmène le lecteur sur les traces de ce lieutenant Alpha (qui, en dépit de son surnom, se caractérise plutôt par des méthodes « à l'ancienne »). Un voyage dans le temps comme dans l'espace, de la Provence jusqu'en Jordanie, en passant par Istanbul ; car en ces nouvelles « années soixante », nous pouvons (à nouveau!) voyager avec une facilité et une rapidité qui font envie en cette époque de sédentarisme forcé. Même si les tribulations du lieutenant et de sa jeune stagiaire Daphné n'ont rien de touristiques, puisqu'ils embarquent sur les traces d'un tueur en série. Une enquête « crimino-génétique » dans un monde où la science a permis de pacifier les sociétés, au prix d'un « fichage » généralisé qui laisse encore des zones d'ombres, pour le meilleur et pour le pire. L'enquête va tenir le lecteur en haleine au long de ce « roman d'anticipation ». Et le terme tient à cœur à l'auteur : « Je fais la différence entre un ouvrage de science fiction et d'anticipation, car dans ce dernier cas, tout ce qui est décrit a quatre-vingt dix pour cent de chances d’arriver réellement », confirme Frédéric Dubessy, qui ne s'est pas totalement départi de sa casquette de journaliste (2) pour écrire « Marseille 2064 ». L’auteur a joué les Jules Verne en se laissant parfois prendre de vitesse dans son travail de projection scientifique et d'anticipation. Le roman a ainsi été achevé en fin d'année dernière alors que le « steak végétarien » dont se nourrissent les personnages venait tout juste d'être inventé en France.
 
Frédéric Dubessy
 
Nous sommes donc en 2064, on mange des steaks sans viande, et Jean-Claude Gaudin a donné son nom à l'une des rues de la cité phocéenne (alors que Jean-Claude Izzo attend toujours). Preuve qu'on ne peut guère avoir d'espoir inconsidéré dans l'avenir. Heureusement, l’humour n'a pas disparu, et le roman de Frédéric Dubessy en déborde. Il faut dire que le lieutenant Burggins a la gouaille qui va si bien à Marseille, avec en plus cette sorte d'esprit de troisième mi-temps que l'auteur -rugbyman dans l'âme- donne à son héros pour en faire une sorte de « Bérurier méditerranéen » : grande gueule, bon vivant, et touchant à la fois (ébranlé par la timidité devant la femme qu'il aime). Un personnage « San-antoniesque », à l'humour « pas très politiquement correct », avec des méthodes singulières de flic de série noire qui lui donnent l'air d'avoir un siècle de retard (la façon la plus sûre d'être moderne !). Bref, Lucien Burggins a la dégaine d'un d'anarchiste de droite, même si le qualificatif fait rire l'auteur : « Je dirais plutôt qu'il est un peu déçu par sa vie et qu'il se réfugie derrière une carapace ; il n'est pas ce qu'il montre, c'est un faux dur, et un vrai tendre ». C'est l'une des grandes forces de ce roman : les personnages de Frédéric Dubessy ne sont jamais exactement ce qu'ils laissent voir. Ni le flic caparaçonné, ni l'innocente stagiaire Daphné. Des personnages qui avancent masqués, mais ne cessent jamais d'être authentiques. Et en cela aussi, le futur de « Marseille 2064 » ressemble furieusement au présent.
 
Francis Mateo
 
(1) « Marseille 2064 » de Frédéric Dubessy (éditions de l'Onde)
(2) Frédéric Dubessy est rédacteur en chef du site d’informations econostrum .info