Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 3

Garder le moral...

Le chat Zapata s'étire sur la terrasse comme si de rien, et jette un œil débonnaire vers l'intérieur, où sa maîtresse tourne comme un fauve en cage. « Le ménage, c'est fait, les courses, c'est fait, la cuisine, c'est fait, le repas, c'est fait, le café, c'est fait, le tour de l'appartement, c'est fait, refait et re-refait ». En même temps, 45 mètres carrés, c'est vite parcouru.
- Depuis combien de temps ça dure ce confinement ?
Zapata ne répond pas. Il a l'air anesthésié par le soleil qui réchauffe le sol de la terrasse, baignée de chaleur et de silence. Tout alentour, le quartier de Poble Sec semble endormi, comme la ville de Barcelone toute entière, où le gazouillis des oiseaux est devenu un bruit de fond.
- Pfff... ce silence ! On se croirait à la campagne !
Valérie Blanchard est un animal social, et les animaux sociaux, c’est bien connu, ont horreur de la cambrousse. D’ailleurs, cherchez donc la campagne dans les peintures de Valérie Blanchard. Ben non : y'a pas ! Alors venez pas lui parler de l'herbe verte des prés, surtout pas en ce moment.
- Non mais quel calme !! C'est la France un dimanche... et c'est tous les jours dimanche !
Zapata relève doucement la tête en entendant les bruits si familiers des crayons et pinceaux qui s'entrechoquent. Sa maîtresse a repris ses outils de travail. Le chat se plaît à imaginer qu'il sera dans le prochain tableau. C'est son côté cabot.

Dessiner et peindre, pour Valérie Blanchard, c'est une vocation, une passion. Le temps passé devant le papier ou la toile échappe aux contingences du quotidien, c'est une échappée belle vers la liberté avec une clope au bec et un verre de vin rouge jamais très loin du chevalet. C'est son art, son métier, et son gagne pain. Mais comment vit un peintre qui ne peut exposer ses tableaux pour les vendre ? Comment font-ils, ces artistes qui présentent leurs œuvres aux côtés de Valérie Blanchard tous les dimanches matin sur la Plaça del Pi, désormais interdite aux flâneurs, comme toutes les places et les rues de la ville ?
Les peintres, les artisans, les femmes de ménage, les clodos, les acteurs de théâtre, les marchands ambulants, les musiciens, les guides touristiques, les prostituées, les loueurs de vélos... Tous dans le grand trou noir du confinement, disparus, néantisés par décret. Et pour le loyer ? « Ben, essayez le télétravail ».
Valérie Blanchard sait que les semaines qui viennent seront dures, mais au moins ne se sent-elle pas seule dans cette galère. Il n'y a que les adolescents et les chats qui étaient préparés à cet enfermement obligatoire. Ça sent le complot.
- « T'sais quoi Zapata ? Dès que je sors d'ici, je vais au bar, j'me bourre la gueule et je roule des pelles à tout le monde »
Le chat fouette l'air de sa queue en signe de satisfaction. C'est normal : il est dans le dessin.
 
 
 
© Texte : Francis Mateo / Illustrations : Valérie Blanchard