Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 7

Fumées et enfumages...
 
Je regrette parfois de ne plus fumer. Ce serait l’occasion d'une sortie méditative supplémentaire sur ma terrasse, à regarder les volutes s'élever lourdement et se perdre dans l'azur momentanément dépollué du ciel de Barcelone. Certains ont le tabac nerveux, compulsif, anxieux, dilettante. Moi j'ai toujours eu le tabac lyrique, c'est comme ça. Enfin, c'était du temps où je fumais et où j'avais horreur qu'on vienne troubler mes bouffées nicotinées par des mises en garde sur les dangers de ces inhalations ; des préventions que j’associais alors à des bouffées délirantes. Car la passion du fumeur ne souffre pas ces menaces de mort hygiénistes. Et pour toute réponse, je recrachais à la gueule du moraliste un nuage bleuté. Écran de fumée. Ne craignez donc pas, amis fumeurs, que je vous serve ces recommandations anxiogènes qui n'ont d'ailleurs jamais aidé aucun accro à la cigarette à griller sa dernière tige. Pour l'amateur de clopes : on est fumeur ou pas, jusqu’au jour où on arrête... ou pas.
Mon addiction s'est évaporée en sortant d'une session de yoga, discipline devenue très à la mode chez les confinés, et qui eut pour moi cet effet aussi radical que surprenant, car je ne voulais pas arrêter de fumer. À cette époque pas si lointaine, on pouvait encore s'abandonner à ce vice (et c'est encore meilleur de penser que c'en est un) dans certains bars de Barcelone, où la fumée créait encore une ambiance de fin d'époque. Car tout cela serait à jamais relégué au passé.
 
 
Surprise : le tabac est aujourd'hui redevenu à la mode. Mais non, ne froncez pas ces sourcils dubitatifs et voyez plutôt quels sont les commerces « essentiels » : les magasins alimentaires, les marchands de journaux, les boutiques de téléphonie et d'informatique, et les bureaux de tabac ! Les coiffeurs avaient été un temps inclus parmi des commerces prioritaires en Espagne, mais ils ont disparu de la liste aussi mystérieusement qu'il y étaient entrés (remarquez, ça n'empêche pas les présentateurs de télévision et les députés d'être bien coiffés).
Pour autant, le tabac cause toujours autant de dégâts sanitaires : 52.000 morts par an en Espagne ! ça fait quand même 142 morts par jour. En France, ce sont près de 200 décès quotidiens directement liés au tabac. Bon, on ne va pas mégoter sur les chiffres, c'est beaucoup. Mais ça, c'était avant le coronavirus. Car aujourd'hui, on ne meurt plus que du Covid-19 ! Oui, je sais bien que le tabagisme est un facteur aggravant, mais c'est déjà moins culpabilisant. Un peu comme d'être diabétique, nonagénaire, asthmatique ou simplement d'être un homme (facteur aggravant par rapport aux femmes face à cette pandémie!).
Alors, à quand des statues à l'honneur de Nicot et des émoticônes qui fument ?
Bon, on pourrait peut-être commencer par remplacer l'insipide chanson « Resistiré » par un nouvel hymne du coronavirus...
 
 
 
 
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard