Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 8

(Le manque de) chair est triste...
 
 
Une main remonte le long de ta jambe, au dessus du genou sur ta peau si douce, l'autre descend au bas de ton dos pour s'enfoncer entre tes fesses... Je prends un sein à pleine bouche, puis l'autre, je le suce, je le mords et tes griffes sur mon dos répondent à mes morsures... Mes doigts glissent sur ta cuisse jusqu'à tes lèvres humides, je te sens fondre, t'ouvrir... Mon sexe pénètre en toi, tes ongles dans ma chair, et nos langues se mélangent, puis d’un coup de reins j'ouvre les yeux :
9h35 au réveil.
Je sens que je bande. Je serre les paupières et cherche à retrouver la sensualité de ta peau, mais c’est trop tard. Si je ne peux pas finir mes rêves érotiques je sens que ce confinement va durer une éternité.
9h42 : je bande encore, et tu n'es pas là. Tu n'es plus là. Je file à la douche ; faut bien se consoler. Plaisir solitaire.
Je n'ai pas fini de me sécher lorsque le téléphone sonne. C'est toi.
- Bonjour ma chérie ! J'ai rêvé de toi ce matin.
- Je te manque alors ?
- Non, plus maintenant, je sors de la douche.
Elle a ce rire un peu provoquant qui m'excite presque autant que ses cuisses.
- Bien sûr que tu me manques, ma princesse.
- Et qu'est-ce qui te manque de moi ?
- Dans l'ordre, je dirais : tes jambes, ton cul et tes seins.
- Élégant !
- Non, pragmatique.
- Toi aussi tu me manques.
- Comment ?
- Dans l'ordre ? Voyons... ta bite, tes mains et ton cul.
 
 
En raccrochant, je me rassure en pensant à ces couples qui découvrent, confinés entre leurs quatre murs, l'étrangeté d'une relation où l'habitude et les conventions ont remplacé insidieusement le désir et la tendresse. Dans un appartement ou dans une maison qui ne sera jamais assez grande pour occulter ses sentiments, j'imagine cet homme qui s’interroge : est-ce encore de l'amour ? Cette femme stupéfaite et presque coupable de ne plus aimer. Et le sacrifice de cette liberté à laquelle nous n'avons pas voulu renoncer, ma chérie, « au prix de la solitude » disent cet homme et cette femme ; non, « avec en prime » la solitude. Avec comme récompense ces retrouvailles en forme d'invitations mutuelles : invitation à l’amour, invitation au plaisir, invitation au partage entre deux amants qui ont choisi de rester aussi des individus. Et à chaque fois, la chair est une fête !
Mais j'envie aussi en cet instant ces couples qui se caressent, s'embrassent, s'aiment. Le bon moment pour descendre faire les courses, quoi...
Dans la rue, les regards fuyants au dessus des masques hygiéniques ne font que renforcer ce petit sentiment de déprime. Ce manque de toi. Un journal, un fromage, une bouteille de vin et du pain. Je remonte illico. Je retourne à la douche.
 
 
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard