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Exposition Kahnweiler

Hommage à l'accoucheur du cubisme au musée Picasso de Barcelone.

Daniel-Henry Kahnweiler et Joan Ainaud de Lasarte au Museu Picasso de Barcelone en mars 1968 (photo : Joaquín M. Domínguez)

2023 est l'année d'une triple commémoration picturale en Catalogne : le centenaire de la naissance d'Antoni Tàpies, les quarante ans de la mort de Joan Miró, et le cinquantenaire de la mort de Pablo Picasso. C'est aussi le soixantième anniversaire de la création du musée Picasso à Barcelone, qui ouvre justement le bal des célébrations avec une grande exposition consacrée à Daniel-Henry Kahnweiler. Grâce à la collaboration du Centre Pompidou de Paris (et de la donation Louise et Michel Leiris), le musée a réuni une collection exceptionnelle parmi les œuvres du grand galeriste et marchand d'art allemand. Daniel-Henry Kahnweiler était avant tout un passionné, aussi curieux des œuvres que de leurs auteurs. Une vocation qui s'est affirmée très tôt, et marquée par la rencontre avec Pablo Ruiz Picasso en 1907. Le jeune collectionneur de vingt-trois ans (le peintre en a alors vingt-six) vient tout juste d'ouvrir le Bateau-Lavoir, une minuscule galerie d'art parisienne située rue Vignon, à deux pas de l'église de la Madeleine. Les affinités artistiques et amicales entre les deux jeunes hommes ouvrent les portes de cet espace d'exposition parisien à Picasso. Les œuvres du peintre espagnol côtoient ainsi celles de son compatriote Juan Gris, de Fernand Léger, et les peintures de Georges Braque, dont le critique Louis Vauxcelles décrit alors les « schémas géométriques en cubes » : le « Cubisme » est né ! Daniel-Henry Kahnweiler est l'accoucheur de ce qui deviendra l'un des mouvements artistiques les plus importants du XXème siècle ; et le Bateau-Lavoir en est le berceau, la précieuse pépinière où se retrouvent les poètes, peintres et musiciens, dont Guillaume Apollinaire (qui signe la préface du catalogue), Max Jacob, Erik Satie... L'exposition du musée Picasso de Barcelone rend compte aujourd'hui de cette rencontre d'artistes majeurs et de leur proximité avec Kahnweiler - qui participe de cette création exceptionnelle - à travers les peintures, bien sûr, mais aussi les livres, documents, les lithographies et gravures. Car le cubisme éclot de ce foisonnement.

L'exposition de Barcelone s'ouvre d'ailleurs par une série de photographies, dont les magnifiques clichés de Jacqueline Roque montrant Picasso qui dessine Kahnweiler ; des images en jeu de miroir entre la photographe (épouse de Picasso) et son sujet, où les portraits du peintre acquièrent une présence presque physique aux côtés du modèle.

 

 Emmanuel Guigon, directeur du musée Picasso de Barcelone, ne peut s'empêcher d'exprimer une émotion mêlée de fierté en parcourant les différentes salles de cette exposition: « C'est un événement culturel très important et très émouvant, une rencontre unique avec Daniel-Henry Kahnweiler, cet »homme d'art » exceptionnel dans toutes ses facettes, notamment celles de marchand, d'éditeur et d’historien ». Un collectionneur qui a également tissé une relation très particulière avec la Catalogne, à travers le parrainage de deux artistes emblématiques : le sculpteur Manolo Hugué et le peintre Josep de Togores. L'ombre de Picasso plane évidemment sur cette collection d’œuvres magistrales, jusqu'à la dernière étape de cette visite, où apparaît toute la force de la relation entre le galeriste et le maître, tissée au fil des décennies grâce à la complicité entre Picasso et Michel Leiris, gendre de Kahnweiler. « Cinquante ans après leur première rencontre, Kahnweiler redevient le marchand exclusif de Picasso, et accompagne le peintre dans sa fascination à réinventer les œuvres majeures du passé, de Nicolas Poussin et Delacroix, à revisiter le Déjeuner sur l'herbe de Manet, et bien évidemment les Ménines de Vélasquez », commente Emmanuel Guigon.

L'exposition reflète aussi la vision humaniste de Daniel-Henry Kahnweiler, qui a tout perdu lors des deux grands conflits mondiaux du siècle dernier : spolié pour son pacifisme en 1914, le marchand juif allemand est à nouveau privé de ses biens en 1940. Il traverse ces tragédies historiques avec la volonté de rester droit, conforme à ses convictions. « Son combat est celui de l'humanisme qu'il défendait avec ses propres artistes, une idée de la liberté qui était au cœur de cette avant-garde artistique », note Brigitte Leal, commissaire de l'exposition. Au-delà des œuvres magnifiques présentées dans le cadre de cet événement au musée Picasso, c'est un rendez-vous avec l'esprit de Daniel-Henry Kahnweiler qui est proposé au visiteur. Une variation sur l'amour : amour de l'art, des artistes et des amis.

Francis Mateo