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Regards croisés au musée Picasso de Barcelone

Les photos de Lucien Clergue et le travail de l'archiviste Brigitte Baer donnent à voir deux facettes originales de Picasso.

Un regard intime sur un quotidien méconnu et sur l'artiste à l'œuvre. Deux visions, deux expositions. À découvrir jusqu'au 20 octobre prochain au musée Picasso de Barcelone. 

Picasso danse le flamenco avec Manitas de Plata lors d'une fête gitane improvisée à l'hôtel du Forum d'Arles, le 30 septembre 1964 : c'est l'une des images insolites dévoilées à travers une séries de photos en noir et blanc réalisées par Lucien Clergue, et présentées au musée Picasso de Barcelone dans le cadre d'une double exposition originale (jusqu'au 20 octobre 2022). Le photographe Lucien Clergue a vingt ans, en 1953, quand il croise le peintre pour la première fois, au sortir d'une corrida dans les arènes d'Arles. Une complicité se noue quasi instantanément entre les deux hommes. La relation deviendra une amitié au fil des ans, explique Emmanuel Guigon, directeur du musée Picasso de Barcelone : « À partir de 1955, ils se rencontreront souvent dans le midi de la France, où Picasso présentera ses amis à Lucien Clergue ». Avec la générosité qui le caractérise, Picasso ouvre également au photographe les portes de son atelier et de sa maison de Mougins, et il l'amène dans ses virées tauromachiques et festives. Au point que Lucien Clergue interprète ce « privilège » comme la proximité de deux artistes également inquiets : « Mes portraits de saltimbanques, réalisés dans l'esprit de ses Arlequins, l'avaient touché », note le photographe. Il en restera plus de 600 instantanés légués au musée de Barcelone, dont un très bel échantillon est aujourd'hui présenté au public comme autant de scènes et de petites histoires - mais non moins importantes - de la vie quotidienne de Picasso. « C'est à la fois un album de famille et le journal d'une amitié, les éphémérides d'une vie de complicités », ajoute Emmanuel Guigon.

« Une autre façon d'entrer dans les œuvres de Picasso »

En parallèle de cette exposition de photographies, le musée de Barcelone propose aussi un parcours plus technique à travers les gravures de Picasso, en mettant à l'honneur le travail de Brigitte Baer, qui a fait l'inventaire de ces gravures à la mort de l'artiste. Et quand on sait que Picasso conservait tout ce qu'il entreprenait, on imagine le travail gigantesque que représentait cette mission d'archivage. Bizarrement, alors qu'elle ne s'était jamais véritablement frottée à ce genre d'exercice, Brigitte Baer va consacrer le reste de sa vie à ce travail à la fois méticuleux et gigantesque, jusqu'à devenir la grande spécialiste des gravures de Picasso. Avec à la clé l'édition du catalogue devenu une référence. C'est cette fascination et cette passion vis à vis de l'œuvre de Picasso, mais aussi cette incroyable méthodologie de classement des archives qui sont ici exposées. À destination d'un public qui peut être très averti, car c'est une exposition scientifique, explique Emmanuel Guigon : « C'est en effet « la fabrique du pré », pour reprendre le terme de Francis Ponge, la fabrique d'une investigation très pointue que l'on peut apprécier avec le regard du spécialiste ». Mais c'est également une exposition qui s'adresse au plus grand nombre, notamment à ceux qui ne connaissent pas - ou peu - les gravures de Picasso, éclairées ici par les textes de Brigitte Baer. « C'est une autre façon d'entrer dans les œuvres, en regardant par le trou de la serrure, avec ce voyeurisme qui caractérisait aussi Picasso ». Une autre manière aussi - en écho à celle de Lucien Clergue - de raconter des histoires qui nous éclairent sur la vie de Picasso.