Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 4

Fuck news...

On ne « raccroche » plus le téléphone depuis longtemps, au sens littéral, s'entend. Pourtant, tout le monde dit toujours : « Je raccroche ». Même les moins de vingt ans qui ignorent le temps du téléphone en bakélite. Sur Skype, sur Duo ou sur Zoom, c'est toujours : « Tu raccroches ? ». Alors pourquoi dit-on « fake news » ? fausse nouvelle, information erronée, enfumage, tartuferie, rumeur infondée, pseudo-journalisme, piège à cons... voire intox, à la limite, je veux bien. Mais pourquoi « fake news » ?
- Faut vivre avec son temps mon vieux, c’est un concept qui vient des States ?
- « Fake news », c'est un concept ?
- Ouais... bon, je raccroche.
- Attends ! Qui t'a dit qu'on ne pourrait pas sortir avant six mois ?
- Silvia. Elle l'a entendu dire ?
- Entendu ? Mais où ? Quand ? Par qui ?
 
Le pire n'est jamais sûr, mais on peut être certain de toujours trouver son prophète de malheur au bout du fil (« y'a plus de fil, vieux! »). Et bien voilà, j'ai trouvé le mien aujourd'hui : Claude m'annonce que le confinement se prolongera pendant six mois... jusqu'en septembre ! Il le tient donc de Silvia, qui le tient de...
- Quelqu'un.
- Pardon ?
- C'est quelqu'un qui l'a dit, je crois que c'était sur Facebook. Bon, faut que j'y aille... Salut !
Auparavant, quand la communication se coupait, on avait des « bips »... bip,bip,bip... Mais à présent : le silence. D'ailleurs, il me faut un temps pour comprendre que Claude a vraiment interrompu la conversation pour me laisser là avec mon angoisse et sa putain de... (non, j'le dirai pas).

Bon, résumons : le Covid-19 a été inventé dans un laboratoire pharmaceutique de Wuhan financé par des intérêts occidentaux pour mettre à bas l'économie chinoise. Ça, je l'avais lu au tout début de la pandémie. Quelqu'un l'avait dit. Depuis, quelqu'un n'a pas arrêté : « Notradamus l'avait prédit », « c'est la CIA », « c'est une arme bactériologique, « mais non, c'est un coup des Russes », « les chaînes d'info en continu dévoilent les fake news ». Vertigineux, non ?
« C'est une infodémie ! », a lancé un petit malin qui passait par là pour désigner toutes ces aberrations abondamment relayées. Le mot-valise a fait florès (quelqu'un l'a répété), avec un tel succès que le président de l'OMS, Tedros Adhanom, a appelé à « lutter contre l'infodémie ». Je me demande ce que Tedros répondrait à Claude. Bon, j'ai bien ma petite idée, en fait, mais je n'aime pas être grossier. Et puis j'avoue que je ne suis plus très sûr non plus... si c'était vrai ?
La sonnerie du téléphone interrompt mon accès d'infodémie. C'est mon ami Niccolò :
- J'ai une mauvaise nouvelle pour toi... une information de l'OMS.
- Qui dit quoi ?
- À la fin du confinement, seuls reviendront à la normalité ceux qui étaient déjà normaux avant l'épidémie !
- T'as raison, on n'est pas sortis de l'auberge.
(PS. L'auberge, vieux, c'est un concept qui vient du Cantal)
 
 
 
 
© Texte : Francis Mateo / Illustrations : Valérie Blanchard