Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 17

Le temps de la  « distansation »...
 
 
Décidément, la crise sanitaire et le confinement qui s'ensuit ont un effet stimulant sur l'enrichissement du langage. Après « infodémie », « pédodémie » et « cunidémie » (se reporter à l’épisode 15 pour les retardataires), les lecteurs de Barnanews.com se sont laissés porter par leur imagination pour proposer d'ajouter au dictionnaire un nouveau lexique approprié au « monde d'après », celui de la « distansation » sociale, de l'intériorisation des gestes barrières jusque dans nos sensations. Un monde où « l'immunimanité » déterminera le genre : nom, prénom, âge, immunité (positive ou négative) .
Mais c'est à coup sûr cet état de réclusion planétaire -le confinement- qui s’imposera dans la novlangue de demain comme principale source de néologismes : nous devons nous habituer à vivre dans une société « confinouverte », diront les politiques. Méfions-nous de la « confintox », martèleront les patrons de chaînes d'informations virales continues.
Dans cet univers, les « confinécomistes » régneront en experts, car qui domine le langage contrôle le monde, c'est bien connu depuis la Grèce antique. Et ces sophistes-là avaient déjà une longueur d'avance, avant la pandémie, ayant su imposer depuis longtemps une terminologie si absconse que personne n'osait plus la contester : la « croissance négative » (invention linguistique diabolique!), la « logique du marché » (« on est dans la merde ? Ah ben oui, c'est logique »), quand ce n'était pas la « loi du marché » (dure, très dure, mais c'est la loi). Les mêmes qui ont donc justifié la mise à sac de nos systèmes de santé viendront expliquer pourquoi les contribuables devront financer les systèmes de santé...
 
 
- Moi aussi, j'ai inventé un mot, me dit Adela.
- Attends, laisse-moi deviner : «Confineroles au chocolat » ?
- « Aporophobie ».
- Oh là ! Y'a des morceaux de grec là-dedans...
- Étymologiquement : la peur des pauvres.
- Ça marchera jamais, Adela !
- Ça marche déjà « Duconfiné » ! Tu connaîtrais le concept si tu lisais mes livres. Et le mot est dans le dictionnaire depuis trois ans.
- Hé hé, « duconfiné », j'aime bien... et ça naît comment l'aporophobie ?
- C'est un sentiment très intériorisé. Le développement des sociétés contractualisées nous incite à donner d'abord à ceux qui sont susceptibles de nous rendre quelque chose en retour... Bon, je fais simple.
- Ça me va : du sur-mesure ! Continue.
- Disons que ces bases comportementales peuvent provoquer le rejet du pauvre, de celui qui n'aurait rien à nous donner en échange, surtout dans une société matérialiste, et a fortiori en période de crise. L'aporophobie prend alors le dessus sur notre penchant à l'empathie.
- Tu ne vas quand même pas justifier la misère par le fonctionnement de notre cerveau reptilien ?
- Non, chacun est responsable de ce qu'il fait. Je te parle des mécanismes de rejet de certains groupes ou certaines personnes. Ça explique, mais ça ne justifie pas. Individuellement, chacun est libre et responsable : c’est une question de choix, d'éthique.
Et toc !
 
 
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard