Focus

Crise au lycée français de Barcelone

Nouvelles plaintes pour pédophilie présumée à l'école maternelle Munner.

Quatre plaintes auprès de la justice espagnole et un signalement au procureur de la République à Paris : les éléments du dossier judiciaire concernant l'affaire de pédophilie présumée à l'école maternelle du Lycée Français de Barcelone (LFB) commencent à s'accumuler sévèrement. Et le silence de l'AEFE (Agence de l'Enseignement Français à l'Etranger), qui gère l'ensemble des établissements dans le monde, commence à devenir pesant. Voire « suspect », selon les termes de parents d'élèves de l'école concernée. Rappel des faits : le 19 mars dernier, Bruno et Jeanne* déposent une plainte dans un commissariat de Barcelone, au lendemain des aveux de leur fille de cinq ans, Nadia, qui prétend avoir été amenée de force dans les toilettes de l'école et agressée sexuellement « par un monsieur », selon les mots de l'enfant. Cela se serait produit à l'heure de la cantine, entre 12h30 et 14 heures, de façon répétée et « depuis longtemps », explique la fillette. Jeanne fait alors un lien avec le changement de comportement de sa fille quelques semaines à peine après la dernière rentrée de septembre. « Nadia avait commencé à se ronger les ongles jusqu'au sang », précise la mère « et avoir d'autres gestes qui nous ont alors perturbé : je l'ai surprise plusieurs fois en train de se toucher le sexe, en se masturbant de manière presque brutale ». Un peu désemparés, les parents écrivent alors au directeur de l'école, Stéphane Housset, pour savoir si quelque élément perturbateur au sein de l'établissement pourrait éclairer ce comportement. « Le directeur nous a répondu qu'il ne fallait pas s'inquiéter, que toute cela était normal et faisait partie de la découverte du corps chez l'enfant, même si Nadia n'avait alors que quatre ans ; il nous dit que si vraiment nous n'arrivions pas à supporter cela, nous n'avions qu'à aller voir un psychologue ». En y repensant, ce 19 mars 2023, assise dans le hall de la brigade des mineurs catalane alors qu'une policière interroge sa fillette, Jeanne s'en veut de ne pas avoir pressenti quelque chose de plus grave ; elle en veut aussi au directeur de l'école de ne pas avoir au moins fait intervenir la psychologue scolaire, de ne pas avoir pas pris cette alerte plus au sérieux. Car les actes que raconte la fillette à la policière sont plus qu'alarmants : l'enfant répète les accusations d'agressions sexuelles, précisant qu'elles auraient été filmées ou photographiées par le téléphone portable de l'adulte concerné, et que d'autres enfants - dont elle donne les noms - auraient subi le même sort. Les descriptions de Nadia visent un moniteur de la société Serunion, sous-traitant du LFB en charge du service de cantine et de la surveillance des enfants de l'école maternelle au moment du déjeuner. La police déboule aussitôt à l'école pour interroger ce suspect et décide, par précaution, de l'écarter de l'école ; le moniteur de Serunion est interdit depuis, par décision judiciaire provisoire, d'approcher l'école à moins de 500 mètres.

Peu avant que les policiers n'arrivent à l'école, une autre maman s'est présentée au tribunal pour déposer également une plainte ; sa fille, scolarisée dans la même classe de grande section de maternelle que Nadia, y raconte le même type de sévices sexuels dans le même contexte, et en désignant le même suspect. Cette autre mère avait aussi remarqué chez sa fille de six ans « des gestes sexuels qui n'étaient pas de son âge, elle s'isolait pour se toucher les parties génitales, les frotter avec un coussin, et puis elle était devenue irritable, et trouvait des prétextes chaque matin pour ne pas vouloir aller à l'école ». Alerté également sur ce cas dès l'automne 2022, Stéphane Housset a pareillement balayé ces inquiétudes d'un revers de main. « Mais ce qui me révolte le plus », ajoute la mère de cette autre petite fille, « c'est le sentiment que nous avons encore aujourd'hui d'être totalement délaissés en tant que parents, enfants et victimes potentielles, ignorés par les responsables de l'école et du lycée français ».

Un climat d'omerta

En visite dans l'établissement le 29 mars 2023 pour un tout autre motif, le directeur de l'AEFE Olivier Brochet a pourtant reçu en direct les témoignages et le désarroi de ces deux familles. Pire : lors de cette réunion impromptue, d'autres parents de différentes classes de maternelle interviennent pour assurer que leurs enfants respectifs ont également tenu des propos qui confirment ceux des fillettes dont les parents ont porté plainte. Une demi-heure après le début de la rencontre, Olivier Brochet s'éclipse sous prétexte d'un avion à prendre pour rentrer à Paris ; et depuis : silence radio de la part de l'AEFE. L'agence a délégué toute la communication au directeur du lycée de Barcelone, Jean Bastianelli. Dans un premier temps, ce dernier s'est borné à répéter qu'il fallait « laisser l'enquête suivre son cours en se tenant à disposition de la police et de la justice, mais avec un souci de ne pas intervenir pour ne pas interférer ni gêner le travail des enquéteurs ». Un message en accord avec celui du consulat de France à Barcelone (l'AEFE dépend du ministère des Affaires étrangères). Une « passivité » que dénonce Homayra Sellier, présidente de l'association Innocence en Danger : « Dans ce genre de cas, les parents craignent de témoigner, c'est d'ailleurs ce qui justifie leur désir de rester anonymes devant les médias ; ils ont notamment peur que leurs enfants soient ostracisés. D'autres sont dans le déni et beaucoup ne comprennent pas les rouages judiciaires, car pour que l'enquête avance, il faudrait que les parents dont les enfants ont été impactés portent plainte auprès des instances judiciaires ; et le lycée français comme l'AEFE devraient les accompagner dans cette démarche au lieu faire profil bas ». C'est pour cela que l'association a pris l'initiative de déposer un signalement auprès du procureur de la République à Paris. Un recours qui s'ajoute aux deux plaintes supplémentaires tout juste déposées par des parents d'élèves de moyenne section de maternelle (les deux premières plaintes concernaient la grande section), ce qui conforte les soupçons d'abus sur des enfants de différentes classes.

Stéphane Housset, mutique depuis le début de l'opération policière, a été relevé de ses fonctions sous la pression des parents, « mais ce n'est pas une sanction, c'est une mesure pour ne pas exposer le directeur et le protéger », précise Jean Bastianelli. Laissés à leur désarroi (le seul soutien psychologique des familles est pris en charge par une unité de l'hôpital catalan du Vall d'Hebron), les parents réclament une classe au sein du lycée français afin de pouvoir se réunir, échanger sur le sujet, « libérer la parole ». Sans succès. 

Francis Mateo

* Les prénoms ont été modifiés par soucis d'anonymat à la demande des personnes concernées