Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 20

Déconfinement lent (mais au pas de course).
 
Dé-con-fi-ne-ment... Partez !
Des hordes de joggeurs ont envahi d'un coup les rues de Barcelone. Jusque sur les grandes artères, les rares voitures ont l'air de s'excuser. Même les autobus s'adaptent au rythme des VTT et des coureurs qui traversent les avenues par grappes. L'autorisation de sortie décrétée par le gouvernement espagnol a sonné comme le pistolet du starter sur une piste d'athlétisme. Top départ pour une foule gambadant en shorts, leggins et baskets entre les promeneurs encore masqués.
Je passe sur la logique sanitaire du découpage des sorties en tranches horaires, toute aussi absurde que la quasi totalité des mesures gouvernementales adoptées depuis le début de la crise, à commencer par le confinement même si l'on en croit l'anthropologue Jean-Dominique Michel. Mais enfin, nous y reviendrons.
Pour l'instant, laissons courir les coureurs et communions ensemble dans l'exercice sportif.
Je sais bien les vertus de la course à pied et toutes ses dimensions qui dépassent les limites du corps, depuis Phidippidès jusqu'à Murakami. Le premier savait où il courait ; le second sait pourquoi il court. Et chacun des deux éclaire à sa manière la question essentielle (existentielle) : courir, d'accord, mais dans quel but ?
Difficile de répondre au début de cette première phase de dé-confinement, que le gouvernement espagnol a baptisé « phase 0 » avec un sens de l'humour qui s'affirme au fil de la mandature (phénomène que l'on constate aussi en France et aux États-Unis). Et pour cause : courir est devenu « le » but ! C'est l'objectif principal de ces premiers pas de liberté hors les murs (avant l'ouverture des salons de coiffure). L'idéal de Forrest Gump.
Qui a dit que l'on n'apprendrait rien de cette crise ?
 
 
- Houellebecq, me dit Raquel
- Quoi, Houellebecq ?
- C'est lui qui a dit qu'on n'apprendrait rien de cette crise. Écoute ça : « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire ».
- Joli : c’est drôle et désespéré.
- La lucidité est le propre des nihilistes.
- Et inversement (comme je réplique à chaque fois que je n'ai pas bien compris une phrase)
- C'est pas faux.
(et en plus ça marche!!)
- Mais tu adhères à ce que dit Houellebecq, Raquel ?
- Je le crains, oui. J’observe autour de moi beaucoup de gens qui ne veulent plus sortir, tout à coup, qui s'aperçoivent qu'ils sont un peu bloqués. Comme s'ils étaient restés piégés chez eux, tu vois. C'est curieux.
- Ah bon ? Tu me rassures : je croyais que tout le monde était descendu courir dans les rues !
- Moi je ne trouve pas cela très rassurant.
- Tu sais que les Japonais ont inventé un mot pour désigner cet état ? « Hikikomori », ce sont les personnes qui se retirent, chez elles ou même dans leur chambre, qui ne veulent plus avoir de rapports avec l'extérieur. Ça concerne surtout les jeunes.
- Je suis au courant : j'ai un ado à la maison.
- Mais non, là il s'agit de gens qui ne veulent plus avoir de relations sociales. Ce qui m'étonne un peu, c'est qu'ils ont une page facebook. Ce qui prouve au moins qu'ils communiquent entre eux.
- À moins que tous les utilisateurs de facebook ne soient des « Hikikomori »
- Et inversement.
- Ben non ! C'est débile ce que tu dis-là.
(Ça ne marche pas à tous les coups)
 
 
 
« Isolement ». Jean-Louis Aubert & Michel Houellebecq...
 
 
 
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard