Barcelone et moi

Le journal du coronavirus – épisode 16

La lumière au bout du tunnel...
 
 
Que celui qui n'a jamais senti un moment de découragement au cours de cette longue période de confinement sanitaire lève la main... Eh bien moi, j’étais celui-là ! J'avais traversé ces semaines en compagnie de Jack London et Georges Moustaki, chantant et jouant de la guitare jusque tard dans la nuit pendant que mes voisins tapaient le rythme de l'autre côté du mur (pas souvent dans le bon tempo d'ailleurs, mais enfin, j'ai rien dit, soyons un peu tolérant en ces jours de réclusion forcée). Comme tout un chacun, j'avais bien sûr imaginé un lendemain de crise plein d'enseignements, où l’on sortirait avec des envies de fête, de lutte et d'amour !
- Et pour toi Katia, qu'est-ce qui sera le plus important en sortant, en revenant à notre vie d'avant ?
- Pour moi, c'est clair : aller chez le coiffeur.
Voilà comment Katia m'a provoqué ce moment de découragement que nous avons tous ressenti.
Je suis retourné à mon Moustaki et à ma guitare. Cette fois, les voisins n'ont pas tapé le rythme (ça ne leur prend que la nuit, allez savoir pourquoi). C'est peut-être ce qui m'a fait ressentir d'abord ce léger sentiment de solitude (pas désagréable, hein, Georges* ?), puis cette sorte d'inquiétude, presque d'angoisse :
Sortir du confinement, mais pourquoi ?...
« Ben, pour aller chez le coiffeur », a répondu Katia dans ma tête.
 
 
Sur le Malecon, le boulevard du front de mer de La Havane, les vagues s'acharnent avec entêtement contre le béton, réussissant parfois à passer au-dessus pour inonder un bout de la chaussée déserte. Car les promeneurs sont rares, et les vieilles Chevrolet colorées ne circulent presque plus. À quoi bon ? Il n'y a plus de touristes à cause de la pandémie, et il n'y a même plus d'essence par la volonté d'un maniaco-président qui veut sauver l'humanité du coronavirus à coup de javel et de lumière, mais qui ne serait pas mécontent de faire expier les Cubains jusqu'au bout de leurs misères.
Et puis La Havane est elle aussi recroquevillée pour laisser passer l'ouragan du Covid-19.
Depuis son quartier natal de Mantilla, un peu excentré de la vieille ville coloniale, Leonardo Padura imagine également les suites de cette crise sanitaire : « …Tout cela me fait craindre comment s'organisera le monde de demain ; que les pouvoirs politiques nous disent que nous pouvons à nouveau nous embrasser, et que nous aillons peur de le faire, voire que nous ne sachions plus comment faire ».
Je rappelle Katia par Whatsapp pour lui rapporter cette phrase inquiétante, mais une seule idée semble l'obséder en ce moment :
- Y'a des coiffeurs à La Havane ?
- Bien sûr, Katia ! Enfin... pourquoi n'y aurait-il pas de coiffeurs à La Havane ?
- Quoi ?... oh ! c'est gênant Whatsapp. On a du mal à s'entendre.
- Moi je te reçois parfaitement, pourtant.
- Mais c'est embêtant : il faut vraiment écouter et attendre que l'autre ait fini de parler pour pouvoir répondre.
- Oui, en même temps, c'est la base de la politesse ! Maintenant qu'on a appris à se laver les mains, il serait peut-être temps d'apprendre à s'écouter.
- Hein ?.. Pfff.. j'entends rien. Bon, j'raccroche. Salut !
 
 
*
 
 
© Texte : Francis Mateo – Illustrations : Valérie Blanchard