Barcelone et moi

Artevistas impose sa marque à Barcelone

Fabienne Yot inaugure une nouvelle galerie dans le quartier du Born.

D'un même geste, Fabienne Yot allume une nouvelle cigarette et approche la flamme du bout de « palo santo » posé sur le cendrier, pour raviver les braises du bois odorant. Comme un rituel de purification souvent répété dans son bureau exigu et chaotique. La pièce foisonne des œuvres de la trentaine d'artistes qui constituent la tribu de la galerie Artevistas : Akore, Farfulowski, Carmela Alvarado, Me Lata, Sandra Partera, Santo,... Pour la grande majorité, ce sont des artistes de rue qui ont trouvé à la fois un refuge, une vitrine et une reconnaissance dans cette galerie nichée au cœur de Barcelone et du Passeig del Crédit, au pied de l'immeuble où naquit Joan Miro. C'est donc toute une tribu qui investit aujourd'hui les murs du nouvel espace d'exposition que Fabienne Yot vient d'aménager : 500 mètres carrés d'oasis artistique dans le quartier fourmillant du Born, juste en face du musée Picasso. Comme si les figures tutélaires de la peinture à Barcelone ne cessaient de veiller sur les jeunes créateurs d'Artevistas. C'est d'ailleurs une exposition en forme d'hommage et de pied de nez au maître du cubisme qui sert de baptême de cette nouvelle galerie, avec les œuvres « picassiennes » et insolentes de Francisco de Pajaro, alias Art is Trash. L'artiste est connu pour ses créations éphémères sur les détritus et containeurs poubelles, c'est-à-dire les seuls supports qu'il a trouvés pour exprimer son art lorsqu'il est arrivé à Barcelone depuis son Estrémadure natale. Paradoxalement, c'est cette improbable aventure qui a forgé un talent aujourd'hui reconnu (et copié). Jusque dans le titre de l'expo perspicacement baptisée « Detrash de Picasso », la sélection d'Artevistas dans le Born reflète toute l'ironie joyeuse empreinte de désillusion que l'artiste exprimait auparavant dans la rue (où il continue de travailler), avant le passage fatidique des éboueurs... ou des collectionneurs !

« Mon seul critère dans le choix de ce que j'expose, c'est que ça me plaise ! »

Au milieu des visiteurs de sa nouvelle galerie, les yeux de Fabienne Yot sourient devant les tableaux d'Art Is Trash, jetés au regard du public comme la bonne blague réussie d'un sale gosse bourré d'inventivité. Concentrée sur les œuvres, la galeriste ne semble pas avoir pleinement conscience du tour de force qu'elle vient elle-même de réaliser en ouvrant ce nouvel espace d'exposition qui la place désormais comme une référence sur la carte de l'art de la capitale catalane. On la sent presque sur la défensive face à ce succès, refusant d'être cataloguée comme « une spécialiste du street art » : « Mon seul critère dans le choix de ce que j'expose, c'est que ça me plaise ! » Et à voir la diversité des formes et des styles, on comprend immédiatement que l'éclectisme est l'un des traits de caractère majeur de Fabienne Yot. Avec aussi ce coup d'œil exceptionnel pour repérer les talents et canaliser les énergies d'artistes qui exposent souvent pour la première fois, et pour leur donner un écho auprès du public, bien au-delà de Barcelone. Au fil des ans, Artevistas a développé une clientèle internationale à travers Internet. Les œuvres sont distribuées aujourd'hui dans le monde entier : « Ce sont pour la plupart des clients qui sont passés par la galerie et qui ont été séduits par les artistes et leur univers ; certains achètent directement depuis les États-Unis, l'Australie, ou ailleurs ». C'est aussi le résultat d'un travail acharné. Car sous ses faux airs de dilettante, Fabienne Yot cultive une addiction à la tâche, toujours à l'écoute de ses artistes, toujours présente dans sa galerie pour conseiller les visiteurs, week-ends et jours fériés compris. Et toujours avec passion : « C'est pour cela que les artistes et mes clients me font confiance, parce qu'ils sentent que je fais ce que j'aime ». On est un peu déçu de ne pas voir dans cette réussite les effets magiques des volutes de palo santo, mais on ne saurait trouver meilleure définition de l'amour de l'art.

Francis Mateo