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La photographie dans l’œil de Picasso

Le musée Picasso de Barcelone propose de redécouvrir le peintre à travers son expérimentation de la photographie et sa collaboration avec les photographes. Une exposition centrée sur les ateliers de l'artiste. À visiter jusqu'au 24 septembre 2019. 

Picasso est au centre, de dos, entouré des paparazzi face à l'objectif. Le cliché de David Douglas Duncan (pris à Cannes en 1957) en ouverture de l'exposition « Picasso, le regard du photographe » (1) en dit déjà beaucoup sur les rapports du peintre avec cet art de la photographie : un sujet qui donne à voir sans montrer son visage, jouant de son image comme d'une marionnette. Dans les milliers d'images accumulées par le peintre (et conservées en grande partie par le musée de Paris), la commissaire scientifique Violeta Andrés a dû faire une sélection, en resserrant l'angle sur les ateliers de Picasso. Une recherche de huit ans synthétisée en neuf étapes au musée de Barcelone, à travers un cheminement entre des images très connues ou totalement inédites qui rendent compte d'un dialogue constant entre les photos et les œuvres, et des échanges de regards avec les plus grands photographes. À l'atelier de Boisgeloup, Boris Kochno et Brassaï vont ainsi photographier Picasso dans son travail de réinvention de la sculpture. C'est d'ailleurs le reportage-photo de Brassaï publié en 1933 par la revue d'art surréaliste Minotaure (avec un texte d'André Breton) qui donne à voir cette nouvelle dimension de Picasso et sa « Femme au Vase ».

Violeta Andrés ne cache pas les craintes qu'elle nourrissait au départ en se concentrant sur les ateliers de l'artiste : « Le choix pouvait paraître réducteur, mais il ne l'est absolument pas, car le regard de Picasso va bien plus loin que l'endroit où il crée ; son atelier est le reflet de sa vie ». à commencer par l'atelier catalan de l'Horta de Sant Joan, où Picasso photographie en 1909 ses premières œuvres cubistes ; puis le Bateau-Lavoir à Montmartre, jamais vu jusqu'alors de l'intérieur, que l'on découvre notamment à travers l’œil de son ami sculpteur Enric Casanova ; en passant par les ateliers de l'entre-deux-guerres en compagnie d'Olga Khokhlova (dont un portrait d’Émile Delétang à Montrouge), jusqu'à la rue des trois Augustins à Saint-Germain-des-Prés où s'épanouit la relation passionnée du peintre avec Dora Maar ; la photographe surréaliste scrute ici de son Rolleiflex l'accomplissement de « Guernica ». Avant le départ de Picasso vers la Côte d'Azur avec sa nouvelle compagne, Françoise Gilot, et la « vie de château » à Vauvenargues... 

 Ici commence la seconde partie de l'exposition « Picasso, le regard du photographe » axée sur la collaboration de l'artiste avec les professionnels de la photo, dont André Villers à Vallauris. Entre le peintre de 72 ans et le photographe de 22 ans, se tisse une complicité amicale ; c'est un véritable dialogue de création qui produit ces œuvres « à quatre mains » mêlant les découpages de Picasso et les photogrammes de Villers. Avide d'expérimentation, Picasso se met plus directement en scène -et dans le cadre- pour réaliser des séries de « light painting » avec la complicité du photographe albanais Gjon Mili en 1949. C'est aussi l'époque où Picasso joue au mieux de sa séduction pour détourner l'attention des photographes qui guettent la starlette sur la Croisette. « Picasso se savait photogénique et il a très vite compris le profit qu'il pouvait en tirer au moment où émerge la presse people aux États-Unis, avec toujours un regard très joyeux ; on peut dire en ce sens que Picasso était l'une des premières stars pour les photographes des magazines américains », observe Violeta Andrés. Une maîtrise de l'image que Robert Doisneau va conforter avec la célèbre photo à la marinière de Vallauris en 1952 (« Picasso, la ligne de chance »), où le peintre apparait derrière une porte vitrée, les deux paumes à plat sur la vitre, et ce regard perçant qui renvoie à la phrase de Man Ray : « L’œil de Picasso y voit bien mieux que ceux qui le voient ».

L'exposition se referme malicieusement sur un portrait d'André Villers retouché par Joan Fontcuberta : occupant tout l'espace au premier plan, Picasso porte un Leica autour du cou et deux montres au poignet, tel un maître du temps et de l'image, qui s'est finalement approprié l'appareil, le cadre et le regard du photographe.

 

Francis Mateo

 

(1) Au musée Picasso de Barcelone jusqu'au 24/09/2019